Russie arctique

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Russie arctique

Contribution Programme ARTISTICC

Tiksi, qui signifie « lieu de rencontre » en langue Yakut, est la commune la plus septentrionale de Russie, située sur la mer de Laptev et aux portes du delta de la Lena. La première expédition dans la région de Tiksi a été organisée en 1932, lorsque les scientifiques ont construit la station météorologique station Polyarka (devenu depuis Observatoire hydrométéorologique international de Tiksi). En 1933, un détachement de l’expédition “Leno-Khatang” arrive par le bateau à vapeur « Camarade Staline ». Cela marque la naissance du port du village de Tiksi qui devient l’un des plus grands ports du nord de la Russie, en pleine activité dans les années 1980, notamment en raison de la vente de bois d’exportation et de la présence d’une importante base militaire. Tiksi est une escale vitale sur la route maritime du nord.

Lors de notre passage, le port n’assurait que des fonctions d’approvisionnement pour la zone et semblait quasiment désaffecté. Tiksi a en effet dû faire face à une réduction dramatique de son activité économique depuis la fin de l’Union soviétique, date à partir de laquelle la ville a perdu une grande partie de sa population. Selon le recensement de 2016, le nombre de résidents était actuellement proche de 4.500 personnes, alors que la ville accueillait environ 12 000 personnes pendant la période soviétique, dont certains bâtiments conservent encore les traces. On peut voir dans Tiksi des fresques soviétiques peintes sur les façades des barres d’immeubles, telle cette monumentale représentation de la faucille et du marteau, symbole de l’unité des ouvriers et des paysans.

Stigmates de la période soviétique
© Camille MAZE

Aujourd’hui, la localité, composée du village de Tiksi-1 et de la base militaire de Tiksi-3, subit des transformations majeures associées au changement climatique et notamment à la fonte du permafrost. D’importants changements sont également à prévoir avec l’augmentation du transport maritime, rendue probable en raison de l’accessibilité accrue du passage du Nord-Est, consécutive à la fonte des glaces. La réouverture de « la route maritime du nord » ou « route de la soie polaire » qui permet de relier l’océan Atlantique à l’océan Pacifique en longeant la côte nord de la Sibérie est particulièrement intéressante pour la navigation commerciale, l’exploitation des ressources naturelles (halieutiques, minéraux, hydrocarbures). Cette perspective induit de lourds enjeux économiques et géopolitiques. Elle se trouve associée pour des raisons stratégiques aux programmes de surveillance de l’Arctique et au réarmement des ports et des bases militaires russes en Arctique

© Camille MAZE

Ainsi la zone est concernée par la question hautement épineuse de la représentation des intérêts des peuples autochtones auprès de l’Etat (Etat fédéral de la Fédération de Russie) et du pouvoir économique lié à l’exploitation des ressources naturelles (gaz et pétrole). Ces populations sont particulièrement vulnérables face au changement climatique qui impacte significativement les écosystèmes si spécifiques de la zone arctique, véritable hotspot de biodiversité, sur lesquels reposent encore en partie leurs modes de subsistance (élevage de rennes, chasse, pêche). Elles doivent ainsi déployer des stratégies d’adaptation face aux changements que nous avons pu constater durant la mission et sur lesquels les avis sont partagés. Certains craignent les effets néfastes du changement climatique et appellent de leurs vœux la conservation à la fois de la biodiversité et des modes de vue traditionnels tandis que d’autres y voient, au contraire, un horizon favorable pour des conditions de vie plus clémentes et le renforcement du potentiel économique de la région.

Entretien collectif avec les représentants du peuple Evenk

C’est dans ce contexte que nous avons atterri en août 2014 à l’aéroport de Tiksi, sur la piste de 3000 mètres de la base aérienne de l’Armée de l’air russe, dans le vrombissement d’un bombar-diers Tupolev Tu-95 Bear, en compagnie de l’ethnologue Vyacheslav Shadrin(1) qui a pour habitude de se rendre auprès des peuples du nord pour les sensibiliser à ces questions et leur dire leurs droits. Accompagnée de notre traductrice Tatiana, nous avons réalisé une série d’entretiens et d’observations ethnographiques à Tiksi (auprès d’élus, de représentants de différents services publics, de représentants Evenk) et dans la péninsule de Bukovski (auprès des élus et des pêcheurs du dernier kolkhoze de pêche de Russie : Arktika). Cette collecte de données a permis de mettre en évidence les divergences et les associations de pratiques et de représentation, liés à la question de l’adaptation des populations locales, russe et autochtone (Evenk) au changement global, en croisant les observations en sciences sociales et en écologie.

(1) Chef Vyacheslav Shadrin est le président du Conseil Yukaghir des aînés de la République de Sakha et vice-président de l’Association russe des peuples autochtones du Nord, de la Sibérie et de l’Extrême-Orient. Il agit de longue date pour faire progresser la cause des peuples autochtones et des communautés de l’Extrême-Orient russe, en essayant notamment de renforcer la dimension sociale des études d’impact sociales et environnementales (expertise ethnologiques) réalisées dans le cadre des activités d’exploitation des sols et des ressources.

Mission réalisée dans le cadre du projet de recherche ARTISTICC, financé pour la période 2014-2018 par le Belmont Forum. Il concernait six sites, particulièrement touchés par le changement global, à travers le monde : rade de Brest et Iroise, Bretagne, France/ Cocagne-Grande Digue, New-Brunswick, Canada/ Kanyakumari district, Nagapattinam region, Inde / Mbour, Senegal / Tiksi, Sakha Republic, Federation of Russia / Uummannaq, Groenland / Wainwright, Alaska, Etats-unis. L’objectif d’ARTISTICC était d’analyser les manières dont les différents types de savoirs peuvent être mobilisés pour favoriser l’adaptation des communautés côtières au changement climatique. Des approches inter- et transdisciplinaires ont été déployées sur chacun des sites d’étude et d’action, afin de contribuer à développer des stratégies d’adaptation robustes, socialement, culturellement et scientifiquement centrées sur la communauté. A partir de-là, une série de notes d’orientation (Policy brief) destinées aux décideurs, gestionnaires et tout autre acteur du développement du territoire ont pu être produites. (ARTISTICC http://www.artisticc.net/).